02/11/2009
Kiétu
Qui es-tu, héros qui n’a pas encore de nom ? D’où viens-tu ? De quel néant te tiré-je ? Où vas-tu de ce pas – que je vais qualifier de décidé parce que c’est moi l’auteur pour une fois, alors si je veux tu marche d’un pas décidé, et puis si je veux tu te traînes comme une merde, mais là je décide que tu es décidé, donc « où vas-tu de ce pas décidé, hé, héros ? »
Bon, en fait cette question n’est pas très intéressante, bien moins que les deux autres en tout cas, car tu vas au boulot, voilà. De plus, et c’est assez naturel, tu n’es pas le seul, alors c’est peu marrant, tu n’as pas très envie, juste au début d’une histoire que pour une fois c’est toi le héros, qu’on te rappelle que tu es quelqu’un de médiocrement ordinaire, donc on va passer à quelque chose de plus… de plus… exaltant, voilà – exaltant, c’est bon ça « exaltant », je vais le garder.
L’ennui c’est que ta vie n’est pas très palpitante (eh oui, j’ai un dictionnaire de synonymes), ce qui va m’obliger à inventer des péripéties – à défaut d’avoir quelque chose à dire (j’aime les tirets cadratins, tu as remarqué ? – les parenthèses aussi, souvent j’hésite entre les deux. Et je ne parle pas de la virgule.) Tu veux que je t’invente une copine ? Un coup de foudre, là tout de suite maintenant dans le métro, tous les deux coincés l’un contre l’autre, cœurs perdus ballotés par le hasard dans la mégapole anonyme ? Non, avec ton bol habituel, tu vas simplement te faire traiter de gros peloteur par celle qui eût pu être ta dulcinée, ignorante qu’elle est de son statut d’héroïne putative. Par surcroît (car non seulement j’ai des synonymes sous le coude, mais je sais également convoquer sous ma plume – virtuelle puisque j’utilise bien sûr un traitement de texte – un vocabulaire légèrement suranné et orné d’accents que j’aime circonflexes), par surcroît, donc, dis-je, ou plutôt disais-je, mais peu importe, l’essentiel étant d’en venir au fait, par surcroît tu as une fois de plus omis de te brosser les dents ce matin, et au nom de tes covoyageurs dans ce wagon bondé, permets-moi de te dire, héros, que je ne te remercie pas.
Bon, t’es grillé avec la meuf, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Il y a bien ce mec qui te mate de façon un peu insistante à l’autre bout du wagon, mais est-ce que j’ai envie de te faire virer ta cuti ? Pas trop, à vrai dire, non par homophobie m’enfin parce que ça va m’obliger à me documenter, et puis si jamais tu plais au public, en un rien de temps tu deviens une icône gay, et après il faut expliquer que pas du tout, que c’est juste un détail improvisé, et alors certains ne me croiront pas, d’autres seront vexés, d’autres encore blessés ; naturellement on fera très vite un amalgame héros/narrateur/auteur, je me ferai draguer, je passerai pour un bêcheur voire pire si je repousse certaines avances – tu sais que tu commences à me courir sérieusement, héros ? Tu sais que je me demande si je ne vais pas couper court illico à cette encombrante narration ? Je te le dis gentiment : calme-toi.
Maintenant.
Ok, on continue mais ne me pousse pas à bout. Et puis fais attention, il a un flingue, ce type. Il a un flingue, je te dis, un calibre !! Mince… tu ne pensais pas que ça faisait tant de bruit, hein, pas vrai ? Et cette odeur, plutôt inattendue, non ? C’est la cordite, il va falloir t’habituer, j’ai l’intention d’imprimer un certain rythme à cette histoire, à coups de pétoire de préférence. Soudain il y a plein de fumée partout, des cris, une bousculade, il y en a qui veulent sortir - le wagon roule encore, putain, pousse pas, merde, t’es con, hé l’aut’, merde, hé, mais arrêête je te dis ça sert à rien !! – ceux qui se jettent au sol pour éviter les pruneaux ou simplement parce que leurs jambes ne les portent plus, ceux (enfin, celles) qui appellent à l’aide, ceux qui s’en foutent de celles qui appellent à l’aide (c’est rare, les héros, tu sais, mon héros), ceux qui font sous eux, ceux qui se marchent dessus, il y a celui qui a tiré mais on ne sait pas trop qui c’est—moi je l’ai vu, oui, puisque je t’ai prévenu, seulement je suis le narrateur, c’est différent, je ne suis pas vraiment là et en même temps je suis partout (je t’expliquerai, mais tu aurais pu suivre à l’école, aussi), et puis bon je ne l’ai pas vraiment vu, je l’ai inventé, je l’ai improvisé en fait, je ne sais pas encore ce qu’il est devenu. Je crois qu’il fait preuve d’un sacré sang-froid, il a certainement une mâchoire carrée, très virile, un regard bleu acier comme le tueur américain dans ce film avec Pierre Richard où il est question d’un parapluie qui tue, quoique… non, c’est un peu nul, il se ferait repérer tout de suite avec une gueule pareille… on verra plus tard, toi ton problème pour l’instant, c’est que—tu ne vois plus rien à cause du sang que tu as dans les yeux et sur le visage, un peu partout à vrai dire, il y a des morceaux aussi, c’est vraiment dégueulasse, des bouts d’os, de la cervelle, c’est poisseux, et le tout– tu t’en rends compte assez vite – provient de la boîte cranienne de cette fille que j’ai failli mettre dans tes bras et que je mets maintenant à tes pieds, mais hors d’usage par sens de la dérision. Vanitas vanitatum, et omnia vanitas, je ne te le fais pas dire(*). T’es marrant, il fallait bien que j’en fasse quelque chose, j’ai fait d’une pierre deux coups en somme, et même plus : de l’action, un cadavre, un début d’intrigue, plusieurs personnages (dont un qui a déjà disparu, mais je peux faire un flash-back si je veux)—je trouve que ça prend forme.
(*) En fait,si, justement je te le fais dire, et le pire c’est que je trouve ça drôle.
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